Témoignage : Danses folkloriques et personnes âgées
Voici l’histoire d’une aventure clinique avec les personnes
âgées où la danse folklorique est utilisée.
Mais d’abord parlons un peu de la danse folklorique...
Quèsaco ? Grace au livre de Françoise
Giromini intitulé Giselle Soubiran, des
fondements à la recherche en psychomotricité (2014, p.30), j’ai
appris que la danse folklorique était jadis enseignée dans le cursus
d’enseignement de notre métier.
Sur les bords de Seine, près de l’école de la Pitié-Salpêtrière,
j’ai découvert une association de danse folklorique avec mes camarades. Cette
association du nom de Folk en Seine
réalise de nombreux cours et moult bals.
Il est ainsi possible de percer le mystère de nombreuses
danses diffusées dans toute l’Europe, de la Renaissance au milieu du XXème
siècle. Des noms de danse vous viennent rapidement en tête comme les bransles,
la scotisch, les bourrées, la valse, la mazurka, etc. Bref, il y a des danses
collectives comme les chaines bretonnes ainsi que des danses de couple.

Notre attention de la mélodie permet de différencier
facilement les airs de musique binaire et ternaire. On vous a sûrement dit que
cette distinction de la perception rythmique commençait lors du développement
de l’enfant. Pourtant, beaucoup d’adultes dansent la valse avec des pas
binaires. Même ceux à qui on a montré les pas de cette danse ont tendance à
sautiller en tournant au lieu de marcher. Le pas de base peut correspondre à
trois pas marchés linéaires enchainés (gauche-droit-gauche
avant/droit-gauche-droit arrière, etc.). La rotation vient bien après cette
première phase.
Et ça se danse en
EHPAD ?
J’ai
commencé à travailler en EHPAD il y a un peu plus de deux ans. Il y a une unité
fermée dédiée à l’accompagnement des résidents présentant des démences (Alzheimer
par exemple) avec déambulation. A mon arrivée, l’expression des résidents était
dirigée vers le marasme de la monotonie. Quelques musiques anciennes
galvanisaient ces personnes. J’en suis arrivé à consacrer deux matinées par
semaine à cet endroit. Pour une de ces matinées, je propose aux résidents des
approches corporelles basées sur l’expressivité du corps. La danse prend sa
place ici. A l’ennui du début se substitue un accueil chaleureux à chacune de
mes visites.
Toutes les personnes de l’unité ne sont pas aptes à danser.
Une grande hétérogénéité caractérise le lieu. Mais cela est intéressant pour
les personnes avec des pertes cognitives profondes ; la vision de
l’activité des personnes valides amène une dynamique parfois étonnante. Même
des personnes ne pouvant pas se lever peuvent réaliser des mouvements sur leur
chaise.
La danse et les musiques anciennes évoquent de nombreux
souvenirs à ces personnes. La danse vue comme une médiation thérapeutique est
évoquée dans le livre sous la direction de Françoise
Giromini, Jean-Michel Albaret et Philippe Scialom intitulé Manuel d’enseignement de psychomotricité 2. Méthodes et techniques
(2015, p.430).
La danse permet d’éprouver les sensations du corps et
notamment son poids. Cet élément nous intéresse particulièrement dans le cadre
de la prévention des chutes des personnes âgées. Dans le cadre de cette
prévention, le psychomotricien est surtout concerné par l’attention aux
sensations kinesthésiques du corps ; la fameuse stimulation psychomotrice
dont parle notre décret de compétence incomplet (qui n’évoque même pas les
personnes âgées).
Il est alors possible d’explorer les limites naturelles de
l’espace personnelles dans laquelle nous évoluons ; la kinésphère, concept
théorisé par Rudolph Laban, (1950) La
maîtrise du mouvement, 1994. En plus d’une attention au poids, le
psychomotricien porte une attention à la durée, à la place et au flux pour
observer la dynamique d’un mouvement.

Au cœur de la danse, se joue le dialogue tonique. Ce va et
vient tonique et émotionnel se déroule à la fois dans la relation à l’autre et
dans la régulation de son propre tonus. Cette sensation des différents niveaux
toniques enrichit l’expressivité de la personne.
Le dialogue tonique est particulièrement intéressant pour le
psychomotricien. Comme tout thérapeute, il s’intéresse à l’état tonique d’une
personne pour juger de ses capacités. A mon sens, la spécificité du
psychomotricien concernant l’observation du tonus consiste à comparer celui-ci
avec l’émotion. Un phénomène de tuyaux de plomb à la mobilisation et une
difficulté au relâchement sont très souvent désignés sous le terme
d’hypertonie. Mais une hypertonie dont la tension cède lors d’un moment de
détente est à relier à un trouble tonico-émotionnel. Il devient alors aisé
d’imaginer l’importance de ressentir ses tensions, ses émotions fortes pour
mettre des mots dessus, pour les apprivoiser.
Par exemple, Mme D. est une résidente de 88 ans d’un
grand dynamisme.
Avec un bilan psychomoteur, je sais que malgré
quelques difficultés praxiques, cette dame est parfaitement autonome dans ses
déplacements et les gestes du quotidien. Elle montre de bonnes capacités
d’équilibre. En revanche ses capacités cognitives sont très limitées. Elle
présente une démence qui altère massivement ses capacités de stockage et
d’encodage de la mémoire. Cette dame a toujours été active dans la vie et son
tonus est élevé sans pour autant faire penser à une hypertonie.
Mais elle semble porter une attention à son corps qui va en
diminuant. Elle demeure énergique, mais ses mouvements peuvent la mettre en
danger. Le manque d’attention de ses afférences sensorielles couplée à son
tonus naturellement haut devient dangereux. Elle a chuté déjà plusieurs fois
sans trop de séquelles.
Avec cette dame, mon projet thérapeutique est axé sur
une stimulation psychomotrice pour une prévention des chutes.
De ce fait, je l’invite chaque semaine à se rendre à
l’atelier équilibre. Je lui propose des moments de détente pour lui faire
éprouver différents états toniques. La danse folklorique vient se rajouter à
tout cela lors de la matinée d’expressivité du corps.
Bon public, madame est ravie de participer à toutes les
séances que je lui propose. Lorsque nous avons commencé à travailler ensemble,
cette dame était tellement active, qu’elle pouvait se « vider » de
son énergie en moins de cinq minutes. Elle jubile littéralement d’être investie
par autrui. J’ai progressivement contrôlé ses décharges toniques pour qu’elle
ne dépasse pas un seuil d’activité qui l’empêcherait de porter une attention
suffisante sur son corps. Pour cela, quelques techniques de conscience
respiratoire, ou une chanson lente suffisait. Si je reviens sur Rudolf Laban
(1950), je peux dire qu’avec l’excitation, cette dame avait surtout des
mouvements légers, souples et courts. Ces mouvements fatigants devaient
simplement être dirigés vers des mouvements plus lourds, aux flux variés.
Actuellement, il me faut toujours porter une grande attention
sur l’utilisation de son équilibre. Mais elle ne présente plus de décharges
toniques aussi importantes que naguère. Cette dame est un moteur de son unité.
La danse folklorique apporte une dynamique non négligeable
auprès des personnes âgées. Cette médiation pimente agréablement l’atelier
équilibre que je dirige. Enfin il est bon de noter que les danses européennes
ont été une source dans l’élaboration des danses latino-américaines. Cela peut
être un bon prétexte pour essayer les danses de l’autre côté de l’atlantique.
Un tango madame ?
L’association Folk en seine :
Une mazurka :
Boris Bontemps.
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